Le Projet "Mesures"
Mobilité des savants et précision des mesures, 16e-19e s.
Projet de recherche
Chaires Internationales de Recherche Blaise Pascal
1. Description du projet
La précision des mesures en sciences joue un rôle déterminant pour valider ou contredire telle théorie ou tel modèle. D’un autre côté, la notion de la précision est étroitement liée à l’organisation de la vie sociale. Précision et modernité en Europe s’engendrent mutuellement: le développement de la précision en sciences crée des nouvelles mentalités sociales et vice-versa ces mentalités poussent au développement de la précision.
Le projet vise à étudier, d’une manière interdisciplinaire et internationales ces rapports respectifs en mettant l’accent sur l’influence de la mobilité des savants au développement de la précision des mesures en astronomie. Il est lié au projet de l’Observatoire de Paris «Observations, Mesures, Incertitudes et Modèles» et vise à impliquer des experts de divers pays d’Europe mais aussi des États-Unis et de la Chine. La période étudiée est celle, cruciale, du passage de la société pré-moderne à la société industrielle fondée sur la précision.
La nouvelle science qui s’est développée en Europe, surtout après le 16e siècle, est le fait d’un réseau de savants qui ont communiqué leurs découvertes, dialogué entre eux, polémiqué, mais aussi comparé leurs résultats. C’est grâce à ce réseau, qui se développera dans la « république des lettres », que les nouvelles découvertes et les nouvelles idées scientifiques ont fait boule de neige et que les sciences ont acquis un statut social jamais atteint auparavant.
Ce réseau s’est constitué par plusieurs moyens : correspondance entre savants, communication des résultats par les journaux savants, déplacements. Notre projet vise à étudier le rôle de ce réseau dans le développement de la précision des mesures, chose indispensable pour la naissance du savoir nouveau.
Le savoir nouveau se veut universel. En effet, la provenance nationale des savants est très rarement mise en avant et de toute façon elle joue un bien moindre rôle que leur appartenance à une école de pensée scientifique. On se bat pour ou contre les idées de Copernic, Galilée, Descartes, Newton partout en Europe, sans se soucier de leur origine nationale ou culturelle. Cet universalisme, servi au début par la langue unique des sciences, le Latin, a survécu au passage aux langues vernaculaires. Si toutes les œuvres importantes écrites dans ces langues n’ont pas connu des traductions, les idées principales ont été transmises par les canaux de communication de la république des savants.
Cet universalisme fut l’épine dorsale de la mobilité des savants, qui a pris plusieurs formes. Les savants voyagent pour mener, vérifier ou comparer des observations, pour mener des recherches, pour s’informer, pour superviser l’impression des livres, pour acquérir des instruments. Ils se déplacent aussi à la recherche d’emploi, ou à la suite d’une invitation d’un nouvel employeur (prince ou institution).
Les nouvelles théories scientifiques ont de plus en plus été fondées sur des expériences et des observations menées avec une précision de mesures qui allait en s’améliorant. Accroître la précision a d’abord été la quête des astronomes, dans leurs efforts de construire des nouvelles tables astronomiques. Re-déterminer les constantes astronomiques par des nouvelles mesures devenait une affaire très pressante. Or, de Ptolémée à Copernic inclus, la précision reste grosso-modo la même. L’effort d’amélioration de la précision, incarné par Tycho Brahé, se généralise très vite dès le début du 17e siècle, et concerne aussi la philosophie de la nature qui met en place des nouvelles expériences, menées avec des instruments nouveaux.
La précision des mesures va acquérir une importance stratégique avec l’implication des scientifiques à la cartographie et à la mesure des longitudes. La mesure de la terre et du ciel va devenir une affaire d‘État pour les puissances européennes. L’avènement de la nouvelle chimie va aussi de pair avec l’amélioration de la précision. Les applications des sciences nouvelles qui feront la société industrielle sont étroitement liées aux efforts des savants pour obtenir des mesures de plus en plus sures et précises.
Cette amélioration des précisions doit beaucoup aux échanges entre les savants et à leur mobilité. À partir du 17e siècle, les astronomes voyagent afin de comparer et répéter des observations aux mêmes endroits où elles ont été originalement menées. Tycho Brahe veux obtenir des nouvelles mesures à l’endroit où Copernic les avait originellement menées. Plus tard, on voudra refaire des mesures à l’île de Hveen, pour vérifier celles de Tycho. Les astronomes voyagent pour mener des mesures simultanées depuis des endroits distincts afin d’accroitre la précision des constantes. La mission de Cayenne de Jean Richer en 1672 est un exemple significatif : outre l’accroissement considérable de la précision qu’elle a apporté à la mesure de la distance terre-soleil, elle a contribué à la mesure (réalisée par d’autres missions) de la figure de la terre, à la suite de l’observation de la différence du battement du pendule entre Cayenne et Paris. Les astronomes voyagent aussi pour étudier des instruments, les copier et les améliorer, chercher des constructeurs, discuter de la fabrication. Le développement des lunettes méridiennes est un exemple de ces échanges. On assiste à une véritable course à la précision et à des « écoles de constructeurs »; les astronomes et les constructeurs s’inspirent des trouvailles et des améliorations de leurs collègues – concurrents. Les astronomes voyagent enfin pour se renseigner et discuter des méthodes d’observation et de calcul. Quant aux géodésiens, ils ne se contentent plus des relations des voyageurs pour dessiner leurs cartes, ils organisent des missions très coûteuses pour mener des triangulations de plus en plus précises. À partir du 18e siècle, ce sera au tour des physiciens et des chimistes de voyager en quête des nouveaux instruments de plus en plus précis. D’un autre côté, l’existence des réseaux et la mobilité du corps des savants va aider à cet échange d’informations sur les mesures et leurs instruments, et à la comparaison des observations, des expériences et des méthodes de calcul.
2. Les principaux axes de la recherche
Notre projet se propose de cartographier la précision des mesures dans le domaine de l’astronomie du 16e au 19e siècle, et plus précisément de la date des observations de Copernic à la découverte de la parallaxe des étoiles par Bessel et Strouve en 1838, rendue possible grâce à l’accroissement de la précision. Quel fut le chemin parcouru et par quels moyens, de la proclamation du système héliocentrique à sa vérification par l’observation?
Par rapport aux moyens mis en œuvre pour l’amélioration de la précision, le projet se propose de cartographier l’influence des échanges des astronomes sur la précision des mesures. Dans ce cadre, il vise à cartographier la mobilité des astronomes pendant la période étudiée. Qui voyage et pourquoi? Quels sont les types des voyages scientifiques pour l’époque étudiée? Comment ces voyages-types changent dans le temps historique et pourquoi? Quel fut l’impact dans chaque cas de ces déplacements sur la précision des mesures?
La recherche se développera selon les thèmes suivants :
- la comparaison de la précision de la mesure du temps;
- la comparaison de la précision des tables astronomiques;
- la comparaison de la précision des cartes stellaires;
- la comparaison de la précision des instruments d’observation;
- la recherche en vue de construire une carte commentée des déplacements des astronomes.